Ces substances chimiques qui s’invitent dans votre corps: "Nous ne pouvons pas exclure un impact sur la santé"
Le plus grand dépistage jamais réalisé en Europe révèle une exposition “alarmante” à certaines substances et un risque d’effets graves sur la santé.
- Publié le 10-07-2023 à 00h01
- Mis à jour le 11-07-2023 à 14h31
Nous sommes nous déjà demandé à quel point votre quotidien est imprégné de substances chimiques ? Entre les traces de pesticides dans les aliments, les résidus de PFAS dans l’eau, les retardateurs de flamme dans la quasi-totalité des appareils électroniques et dans bon nombre de meubles, le bisphénol À présent, dans certaines bouteilles en plastique ou, encore, la présence de phtalates et de parabènes dans les produits cosmétiques… Que nous le voulions ou non, nous sommes constamment exposés à une multitude de produits chimiques. Menace invisible et pourtant bien réelle, la pollution chimique est source d’inquiétudes croissantes en Europe.
Pour mesurer l’ampleur réelle du phénomène et les possibles effets sur la santé des citoyens, un programme à grande échelle a été lancé en 2017 : l’Initiative européenne de biosurveillance (HBM4EU). Celle-ci reposait sur le processus de biosurveillance, soit l’analyse de données biologiques (sang, urine, cheveux, etc.) pour détecter et évaluer les niveaux de pollution chimique.
“Nous avons mis au jour la pointe de l’iceberg."
Pendant cinq ans, des scientifiques ont analysé des milliers d’échantillons prélevés sur plus de 10 795 citoyens vivant dans 22 pays européens, ainsi qu’en Israël. Les résultats attestent d’une réalité préoccupante, révèle Marike Kolossa-Gehring, toxicologue à l’Agence allemande pour l’environnement et responsable du projet. “Nous avons mis au jour la pointe de l’iceberg. Les résultats donnent la preuve que les produits chimiques finissent dans le corps humain si nous les utilisons dans des produits de la vie de tous les jours”, détaille la scientifique, qui pointe un mélange complexe de substances chimiques dans le corps humain.
Des niveaux alarmants
”L’une des principales conclusions est que notre législation européenne sur les produits chimiques est bonne mais pas suffisante pour protéger pleinement les citoyens européens contre l’impact des produits chimiques sur leur santé”, rapporte la toxicologue de l’agence allemande. “Il y a un certain nombre de produits chimiques que nous avons trouvé chez tous les Européens que nous avons étudiés. Il est donc impossible d’échapper à cette exposition et, pour un certain nombre de personnes, ces niveaux sont si élevés que nous ne pouvons pas exclure un impact sur la santé.” Selon la chercheuse allemande, les données recueillies pendant le projet ont permis de démontrer le besoin urgent d’un système européen de biosurveillance durable à l’échelle de l’UE. “Par exemple, les PFAS sont plus fréquents en Europe du Nord et de l’Ouest. Par contre, si vous regardez le mercure, vous constaterez que les pays méditerranéens sont beaucoup plus pollués que les pays du Nord et de l’Ouest”, explique Marike Kolossa-Gehring. Outre ces variations régionales, les taux de contamination variaient en fonction de la substance et des populations testées.
Parmi les principaux résultats, les scientifiques ont ainsi mis en évidence une exposition interne “prononcée” au bisphénol A (BPA) à travers toute l’Europe, avec 92 % des échantillons examinés positifs. Classé dans l’UE comme une substance ayant des effets sur notre capacité à nous reproduire et comme perturbateur endocrinien, le BPA est le plus commun des bisphénols.
Les données montrent, aussi, une augmentation de l’exposition aux retardateurs de flamme, y compris auprès des jeunes Européens : 99 % d’entre eux étaient pollués par un métabolite provenant d’au moins un retardateur de flamme, tandis que 64 % des enfants dans sept pays sont pollués par un autre métabolite provenant d’un agent cancérigène présumé. La liste est encore longue : exposition généralisée aux PFAS – les “polluants éternels” – , avec des niveaux au-delà des valeurs guides pour un quart des jeunes testés, détection de la plupart des phtalates dans une majorité des échantillons (y compris dans 90 à 100 % de ceux des enfants)…
Les chercheurs ont aussi trouvé des preuves de cas de “substitution regrettables”. Cette pratique consiste à remplacer la production d’une substance réglementée par une substance similaire non réglementée susceptible d’être tout aussi dangereuse. C’est, par exemple, le cas pour la famille des bisphénols : suite aux restrictions imposées à l’utilisation du BPA, les bisphénols S et F (BPS et BPF) sont de plus en plus utilisés. Ceux-ci, détectés dans 61 % et 67 % des échantillons, sont soupçonnés d’avoir les mêmes risques pour la santé. Bien que légale, cette pratique est décriée par les ONG.
Un cocktail chimique au potentiel inconnu
Au total, dix-huit substances et groupes de produits chimiques parmi les plus préoccupants ont été recherchés dans les échantillons, parmi lesquels les bisphénols (utilisés dans la fabrication d’articles en plastique), le mercure, certains pesticides ou encore les retardateurs de flamme. “Nous avons choisi ces dix-huit substances et groupes parce que les décideurs politiques de l’UE et des pays partenaires avaient besoin d’informations supplémentaires sur elles”, précise Marike Kolossa-Gehring. Point commun à chacune des substances examinées : toutes ont été associées à des effets néfastes sur la santé, en fonction de la dose et de la durée de l’exposition, allant du cancer à l’asthme, en passant par les problèmes neurologiques (maladie d’Alzheimer, développement du cerveau, etc.). Les risques pourraient toutefois être sous-estimés.
"Nous avons fait de grands progrès. Cependant, il y a encore du travail à faire."
En effet, la présence simultanément de tous des produits chimiques dans notre corps donne lieu à des mélanges complexes dont les effets potentiels sur la santé sont encore peu connus. “Nous avons suivi différentes approches pour l’évaluation des risques liés aux mélanges : elles ont clairement montré qu’il y avait un risque. Je pense que nous avons fait de grands progrès. Cependant, il y a encore du travail à faire”, estime la scientifique, qui pointe, par exemple, l’absence d’évaluation des risques.
Recommandations politiques
Le projet d’étude avait aussi pour objectif de produire des données comparables sur l’exposition interne humaine aux produits chimiques et aux mélanges de produits chimiques au niveau européen, afin de soutenir la réglementation des produits chimiques dans l’Union européenne. “Concernant l’exposition aux produits chimique, nous avons maintenant fourni la base de référence par rapport à laquelle le succès du Pacte vert européen, du Plan d’action “Zéro pollution” et de la “Stratégie de la ferme à la fourchette” pourra être mesuré”, note Marike Kolossa-Gehring. Pour chacune des substances ou chaque groupe étudié, des résumés ont donc été élaborés (”un aperçu de quatre pages au maximum, avec les principales conclusions et recommandations pour les décideurs”) ainsi que des infographies à destinations du grand public (voir sélection ci-dessous).
Que faut-il savoir sur les principaux polluants chimiques présents dans notre corps ? (infographies)
Pour les ONG, la cartographie de la pollution interne réalisée par le programme HBM4EU met en évidence les failles de la législation européenne REACH qui réglemente l’utilisation des produits chimiques dans l’UE et dont la révision, prévue en 2022, a été repoussée à plusieurs reprises. “L’incapacité de l’UE à contrôler les substances chimiques nocives est inscrite dans le sang contaminé de presque tous les Européens. C’est plus clair que jamais, grâce à ce vaste programme de biosurveillance, a estimé Tatiana Santos, responsable de la politique de l’European Environnemental Bureau (EEB) en matière de produits chimiques. Les estimations de la Commission elle-même montrent que les avantages de la lutte contre ce problème sont dix fois supérieurs aux coûts, de sorte que nous pouvons sans crainte ignorer ceux qui donneraient la priorité à l’économie plutôt qu’à la santé humaine et à l’environnement. Nous demandons donc à Bruxelles de tenir sa promesse de désintoxication des produits. Chaque jour de retard est synonyme de souffrance, de maladie et même de mort prématurée.”
”Il y a exactement 1 000 jours, la Commission européenne s’est engagée à remédier à cette situation et à renforcer les règles de l’UE en matière de produits chimiques”, a, quant à lui, rappelé Stefan Scheuer, responsable de la défense de la politique européenne pour CHEM Trust. “La présidente Ursula von der Leyen doit tenir ses engagements et publier sans délai des règles plus strictes.”